Anneau d'Hermite

La notion d'anneau d'Hermite est un peu plus faible que celle d'anneau projectif libre (notion qui est également traitée dans cet article). Le théorème de Quillen-Suslin[1] (qui apporte une réponse positive à une conjecture de Serre) montre que l'anneau de polynômes K [ X 1 , , X n ] {\displaystyle K\left[X_{1},\dots ,X_{n}\right]} (où K {\displaystyle K} est un corps commutatif) est un anneau d'Hermite (et, d'après le théorème de Hilbert-Serre[2], il est même projectif libre). Ce résultat cesse d'être exact si le corps K {\displaystyle K} est non commutatif dès que n 2 {\displaystyle n\geq 2} [3],[4]. De même, la première algèbre de Weyl A 1 ( k ) {\displaystyle A_{1}\left(k\right)} (où k {\displaystyle k} est un corps commutatif) n'est pas un anneau d'Hermite[5].

Définitions

Notons tout d'abord que le terme anneau d'Hermite est pris ici au sens introduit par Lissner[6]. Suivant une terminologie maintenant tombée en désuétude, due à Kaplansky[7], la notion d'anneau d'Hermite commutatif intègre coïncide avec celle d'anneau de Bézout. La notion précisée ci-dessous est plus générale.

  • Un anneau R {\displaystyle R} est dit avoir la propriété IBN (en)[8] si ses puissances cartésiennes sont deux à deux non isomorphes en tant que modules[9] : n , m , R n R m o d R m n = m {\displaystyle \forall n,m,\quad R^{n}\cong _{R-\mathrm {mod} }R^{m}\quad \Rightarrow \quad n=m} . Tout anneau commutatif non nul a la propriété IBN[10].
  • Soit R {\displaystyle R} un anneau et P {\displaystyle P} un R {\displaystyle R} -module à droite. Ce module P {\displaystyle P} est dit stablement libre (en) s'il existe des entiers m {\displaystyle m} et n {\displaystyle n} tels que P R m R n {\displaystyle P\oplus R^{m}\cong R^{n}} [11],[12].
    Il est clair qu'un module stablement libre est projectif de type fini, la réciproque étant en général inexacte. D'autre part, un module libre de type fini est stablement libre.
  • Une matrice-ligne A 1 R 1 × n {\displaystyle A_{1}\in R^{1\times n}} est dite unimodulaire si elle est inversible à droite.
    Les conditions suivantes sont équivalentes :
  1. Pour toute ligne unimodulaire A 1 {\displaystyle A_{1}} , il existe une matrice A 2 R n 1 × n {\displaystyle A_{2}\in R^{n-1\times n}} telle que la matrice carrée
    A = ( A 1 A 2 ) {\displaystyle A=\left({\begin{array}{c}A_{1}\\A_{2}\end{array}}\right)}
    est inversible.
  2. Tout R {\displaystyle R} -module à droite stablement libre est libre.
  • Un anneau est dit d'Hermite à droite s'il a la propriété IBN et s'il vérifie les conditions équivalentes ci-dessus[11],[13].
    On définit de même un anneau d'Hermite à gauche, mais un anneau est d'Hermite à droite si, et seulement si il est d'Hermite à gauche[11]. (La terminologie vient du fait suivant : Charles Hermite a montré que toute ligne non nulle de n entiers ai peut être complétée par n – 1 lignes de n entiers de façon à former une matrice carrée dont le déterminant est le plus grand diviseur commun des ai[14].)
  • La notion d'anneau projectif libre a été introduite par Cohn[15]. Un anneau R est dit projectif libre si tout R-module projectif de type fini est libre[11].
    Il est clair que tout anneau projectif libre est d'Hermite, la réciproque étant inexacte.
  • Soit R un anneau noethérien sans diviseurs de zéro. Les conditions suivantes sont équivalentes :
  1. Tout idéal à gauche ou à droite de R est stablement libre.
  2. Tout R-module sans torsion est stablement libre.
    On appelle anneau stablement libre un anneau qui vérifie les conditions équivalentes ci-dessus[16],[17].

Quelques résultats

  • Si R {\displaystyle R} est un anneau de Bézout (non nécessairement commutatif), tout R {\displaystyle R} -module de type fini est libre. Par conséquent, tout anneau de Bézout est un anneau d'Hermite.
  • Si R {\displaystyle R} est un anneau de Bézout commutatif ou un anneau de valuation, R [ X 1 , , X n ] {\displaystyle R\left[X_{1},\dots ,X_{n}\right]} est un anneau projectif libre[18]. Cela cesse d'être exact dès que n 2 {\displaystyle n\geq 2} si R {\displaystyle R} est un anneau de Bézout non commutatif (ou même un corps non commutatif, comme on l'a dit plus haut).
  • Un anneau local, un anneau de Dedekind commutatif, sont des anneaux d'Hermite[19]. Cela n'est pas vrai d'un anneau de Dedekind non commutatif quelconque, comme le montre l'exemple de l'algèbre de Weyl A 1 ( k ) {\displaystyle A_{1}\left(k\right)} .
  • L'anneau des polynômes de Laurent généralisés K [ X 1 , , X n , Y 1 , , Y m , Y 1 1 , , Y m 1 ] {\displaystyle K\left[X_{1},\dots ,X_{n},Y_{1},\dots ,Y_{m},Y_{1}^{-1},\dots ,Y_{m}^{-1}\right]} , où K {\displaystyle K} est un corps commutatif, est projectif libre[20].
  • Si R = K [ [ Y 1 , , Y m ] ] {\displaystyle R=K\left[\left[Y_{1},\dots ,Y_{m}\right]\right]} , où K {\displaystyle K} est un corps commutatif, alors R [ X 1 , , X n ] {\displaystyle R\left[X_{1},\dots ,X_{n}\right]} est projectif libre. La conjecture de Bass-Quillen, non démontrée, est que cela reste vrai si R {\displaystyle R} est, plus généralement, un anneau local régulier[21].
  • Un anneau (non nécessairement commutatif) stablement libre est un anneau de Dedekind, la réciproque étant inexacte. Néanmoins, l'algèbre de Weyl A 1 ( k ) {\displaystyle A_{1}\left(k\right)} , où k {\displaystyle k} est un corps commutatif de caractéristique 0, est un anneau stablement libre qui n'est pas projectif libre[17].
  • Un anneau (non nécessairement commutatif) est principal si, et seulement si il est stablement libre et d'Hermite[17].
    La condition nécessaire est évidente. La condition suffisante se démontre comme suit : soit R {\displaystyle R} un anneau stablement libre et a {\displaystyle {\mathfrak {a}}} un idéal à gauche de R {\displaystyle R} . Cet idéal a {\displaystyle {\mathfrak {a}}} est stablement libre. Si de plus R {\displaystyle R} est un anneau d'Hermite, a {\displaystyle {\mathfrak {a}}} est libre. Puisque R {\displaystyle R} est noethérien, R {\displaystyle R} est un anneau principal à gauche[22]. Le même raisonnement montre que R {\displaystyle R} est également un anneau principal à droite.

Notes et références

Notes

  1. Voir l'article « Module projectif ».
  2. Serre 1957-1958, Prop. 10.
  3. Sharma 1971.
  4. Ojanguren et Sridharan 1971.
  5. Cohn 1985, Chap. 0, Cor. 10.7.
  6. Lissner 1965.
  7. Kaplansky 1949.
  8. Abréviation de l'expression anglaise « Invariant Basis Number ».
  9. Cette condition est plus faible que l'exigence de puissances non isomorphes en tant que groupes abéliens : les puissances de l'anneau R {\displaystyle R} des polynômes à coefficients avec une infinités d'indéterminées sont isomorphes en tant que Z-modules mais pas en tant que R {\displaystyle R} -modules.
  10. Lam 2006, p. 26.
  11. a b c et d Cohn 1985.
  12. Nous traduisons littéralement l'expression anglaise « stably free ». « Stably » est un néologisme en anglais, tout autant que « stablement » en français.
  13. Dans Lam 2006, Chap. I, Def. 4.6, la propriété IBN est omise.
  14. Lam 2006, p. 67.
  15. Cohn 1966.
  16. Bourlès et Marinescu 2011, Lem. and Def. 666.
  17. a b et c Bourlès 2012.
  18. Lam 2006, §VIII.7.
  19. Lam 2006, §I.4.
  20. Lam 2006, Chap. V, Cor. 4.10.
  21. Lam 2006, p. 191.
  22. Cohn 1985, Chap. 1, Prop. 2.2.

Références

  • (en) Henri Bourlès et Bogdan Marinescu, Linear Time-Varying Systems : Algebraic-Analytic Approach, Springer, , 638 p. (ISBN 978-3-642-19726-0, présentation en ligne)
  • (en) Henri Bourlès, « On Stably Ideal Domains », (arXiv 1206.3668v3)
  • (en) Paul Moritz Cohn, « On the structure of the GL2 of a ring », Publ. Math. IHES, no 30,‎ , p. 5-53 (lire en ligne)
  • (en) Paul Moritz Cohn, Free Rings and their Relations, Academic Press, , 2e éd., 595 p. (ISBN 978-0-12-179152-0)
  • (en) Irving Kaplansky, « Elementary Divisors and Modules », Trans. Amer. Math. Soc., vol. 66,‎ , p. 464-491 (lire en ligne)
  • (en) Tsit Yuen Lam, Serre's Problem on Projective Modules, Springer, , 414 p. (ISBN 978-3-540-23317-6, lire en ligne)
  • (en) David Lissner, « Outer product rings », Trans. Amer. Math. Soc., vol. 116,‎ , p. 526-535 (lire en ligne)
  • (en) Manuel Ojanguren et Ramaiyengar Sridharan (en), « Cancellation of Azumaya algebras », J. Algebra, vol. 18,‎ , p. 501-505
  • Jean-Pierre Serre, « Modules projectifs et espaces fibrés à fibre vectorielle », Séminaire Dubreil. Algèbre et théorie des nombres, vol. 11, no 2, exp. n°23,‎ 1957-1958, p. 1-18 (lire en ligne)
  • (en) Pramod K. Sharma, « Projective modules over group rings », J. Algebra, vol. 19,‎ , p. 304-314

Lien externe

Keith Conrad, « Stably free modules »

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