Ordonnances de Saint-Cloud

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« Les gueusards. Ils me laissent tout sur le dos, avec ça qu'il n'y a plus de Bornes », s'écrie Charles X, succombant sous le poids du lourd crochet chargé des décisions funestes prises en juillet 1830 et avant, tandis que ses ministres l'abandonnent au beau milieu d'un chemin où les bornes, qu'ils ont fait tomber en les dépassant, n'offrent plus de soutien.
Estampe satirique contre les ordonnances de Charles X, lithographie de Lévilly, 1830.

Les Ordonnances de Saint-Cloud, aussi appelées Ordonnances de Juillet ou Quatre Ordonnances, sont des ordonnances signées le par Charles X au château de Saint-Cloud, et publiées le lendemain dans le journal Le Moniteur universel, dans le but d'obtenir des élections plus favorables aux ultraroyalistes.

Origine

Pour couper court à l'Adresse des 221 () dénonçant le ministère Polignac (1829-1830) et se reconstituer une majorité parlementaire favorable, Charles X procéda, en vertu de la Charte, à la dissolution de la Chambre des députés le .

À la surprise générale, les libéraux remportèrent les élections législatives des et , obtenant 274 députés.

Article 14 et coup de force

Le roi ne cède pas et ne change pas son ministère Polignac, minoritaire à la Chambre. Il déclare à son ministère :

« La première reculade que fit mon malheureux frère Louis XVI fut le signal de sa perte […] Ils feignent de n'en vouloir qu'à vous, ils me disent : « Renvoyez vos ministres et nous nous entendrons ». Je ne vous renverrai pas […] Si je cédais cette fois à leurs exigences, ils finiraient par nous traiter comme ils ont traité mon frère ».

L'annonce de la victoire d'Alger, et l'assurance donnée par le préfet de police que « Paris ne bougera pas » le confortent dans sa croyance en la nécessité d'un coup de force. Il organise donc discrètement le recours — interprété au sens le plus favorable — à l'article 14 de la Charte de 1814.

  • « Article 14 :
Le Roi est chef suprême de l'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'État. »

Il y a, en fait, six ordonnances du , mais le coup de force constitutionnel est contenu dans les quatre premières ; c’est ce qui explique qu’on évoque fréquemment les « quatre ordonnances de Saint-Cloud »[1].

Ces « Ordonnances de Saint-Cloud » visent à obtenir de nouvelles élections dans des conditions plus favorables aux Ultras et qui désavantagent les Libéraux[2].

Le aussi, à onze heures du soir, le garde des sceaux, Chantelauze, remet les ordonnances au rédacteur en chef du Moniteur pour qu’elles soient imprimées dans la nuit et publiées au matin du lundi  :

  • la première ordonnance suspend la liberté de la presse et soumet toutes les publications périodiques à une autorisation du gouvernement ;
Première ordonnance sur la liberté de la presse
« Charles, etc.,
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Sur le rapport de notre conseil des ministres, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Article 1 : La liberté de la presse périodique est suspendue.
Article 2 : Les dispositions des articles 1, 2 et 9 du titre Ier de la loi du 21 octobre 1814, sont remises en vigueur.
En conséquence, nul journal et écrit périodique ou semi-périodique, établi ou à établir, sans distinction des matières qui y sont traitées, ne pourra paraître, soit à Paris, soit dans les départements, qu'en vertu de l'autorisation qu'en auront obtenue de nous séparément les auteurs et l'imprimeur.
Cette autorisation devra être renouvelée tous les trois mois.
Elle pourra être révoquée.
Article 3 : L'autorisation pourra être provisoirement accordée et provisoirement retirée par les préfets aux journaux et ouvrages périodiques ou semi-périodiques publiés ou à publier dans les départements.
Article 4 : Les journaux et écrits publiés en contravention à l'article 2 seront immédiatement saisis.
Les presses et caractères qui auront servi à leur impression seront placés dans un dépôt public et sous scellés, ou mis hors de service.
Article 5 : Nul écrit au-dessous de vingt feuilles d'impression ne pourra paraître qu'avec l'autorisation de notre ministre secrétaire d'état de l'intérieur, à Paris, et des préfets dans les départements.
Tout écrit de plus de vingt feuilles d'impression qui ne constituera pas un même corps d'ouvrage sera également soumis à la nécessité de l'autorisation.
Les écrits publiés sans autorisation seront immédiatement saisis.
Les presses et caractères qui auront servi à leur impression seront placés dans un dépôt public et sous scellés, ou mis hors de service.
Article 6 : Les mémoires sur procès et les mémoires des sociétés savantes mis à l'autorisation préalable s'ils traitent en tout ou partie de matières politiques, cas auquel les mesures prescrites par l'article 5 leur seront applicables.
Article 7 : Toute disposition contraire aux présentes restera sans effet.
Article 8 : L'exécution de la présente ordonnance aura lieu en conformité de l'article 4 de l'ordonnance du , et de ce qui est prescrit par celle du 18 janvier 1817.
Article 9 : Nos ministres secrétaires d'état sont chargés de l'exécution des présentes.
Donné en notre château de Saint-Cloud, le 25 juillet de l'an de grâce mil huit cent trente, et de notre règne le sixième.
CHARLES »
 
  • la deuxième dissout la Chambre des députés alors que celle-ci vient d’être élue et ne s’est encore jamais réunie [3];
Deuxième ordonnance sur la dissolution de la Chambre des députés :
« 
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Vu l'article 50 de la Charte constitutionnelle,
Étant informé des manœuvres qui ont été pratiquées sur plusieurs points de notre royaume, pour tromper et égarer les électeurs pendant les dernières opérations des collèges électoraux,
Notre Conseil entendu, Nous avons ordonné et ordonnons :
Article 1 : La Chambre des Députés des départements est dissoute.
Article 2 : Notre ministre secrétaire d'état de l'intérieur est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.
Donné en notre château de Saint-Cloud, le de l'an de grâce mil huit cent trente, et de notre règne le sixième.
CHARLES »
 
  • la troisième écarte la patente pour le calcul du cens électoral, de manière à écarter une partie de la bourgeoisie commerçante ou industrielle, d’opinions plus libérales, réduit le nombre des députés de 428 à 258 et rétablit un système d’élections à deux degrés dans lequel le choix final des députés procède du collège électoral de département, qui rassemble seulement le quart des électeurs les plus imposés de la circonscription ;
Modification de la Charte constitutionnelle
« 
A tous ceux qui ces présentes verront, salut.
«Ayant résolu de prévenir le retour des manœuvres qui ont exercé une influence pernicieuse sur les dernières opérations des collèges électoraux;
Voulant en conséquence réformer, selon les principes de la Charte constitutionnelle, les règles d'élection dont l'expérience a fait sentir les inconvénients;
Nous avons reconnu la nécessité d'user du droit qui nous appartient de pourvoir par des actes émanés de nous, à la sûreté de l'état et à la répression de toute entreprise attentatoire à la dignité de notre couronne;
A ces causes, Notre Conseil entendu, Nous avons ordonné et ordonnons :
Article 1 : Conformément aux articles 15, 36, et 40 de la Charte constitutionnelle, la Chambre des Députés ne se composera que de Députés de département.
Article 2 : Le cens électoral et le cens d'éligibilité se composeront exclusivement des sommes pour lesquelles l'électeur et l'éligible seront inscrits personnellement, en qualité de propriétaire ou d'usufruitier, au rôle de l'imposition personnelle et mobilière.
Article 3 : Chaque département aura le nombre de Députés qui lui est attribué par l'article 36 de la Charte constitutionnelle.
Article 4 : Les Députés seront élus et la Chambre sera renouvelée dans la forme et pour le temps fixés par l'article 37 de la Charte constitutionnelle.
Article 5 : Les collèges électoraux se diviseront en collèges d'arrondissement et collèges de département.
Sont toutefois exceptés les collèges électoraux des départements auxquels il n'est attribué qu'un seul Député.
Article 6 : Les collèges électoraux d'arrondissement se composeront de tous les électeurs dont le domicile politique sera établi dans l'arrondissement.
Les collèges électoraux de département se composeront du quart le plus imposé des électeurs du département.
Article 7 : La circonscription actuelle des collèges électoraux d'arrondissement est maintenue.
Article 8 : Chaque collège électoral d'arrondissement élira un nombre de candidats égal au nombre des Députés de département.
Article 9 : Le collège d'arrondissement se divisera en autant de sections qu'il devra nommer de candidats.
Cette division s'opérera proportionnellement au nombre des sections et au nombre total des électeurs du collège, en ayant égard, autant qu'il sera possible, aux convenances des localités et du voisinage.
Article 10 : Les sections du collège électoral d'arrondissement pourront être assemblées dans des lieux différents.
Article 11 : Chaque section du collège électoral d'arrondissement élira un candidat et procèdera séparément.
Article 12 : Les présidents des sections du collège électoral d'arrondissement seront nommés par les préfets, parmi les électeurs de l'arrondissement.
Article 13 : Le collège de département élira les Députés.
La moitié des Députés du département devra être choisie dans la liste générale des candidats proposés par les collèges d'arrondissement.
Néanmoins, si le nombre des Députés du département est impair, le partage se fera sans réduction du droit réservé au collège du département.
Article 14 : Dans le cas où, par l'effet d'omissions, de nominations nulles ou de doubles nominations, la liste de candidats proposés par les collèges d'arrondissement serait incomplète, si cette liste est réduite au-dessous de la moitié du nombre exigé, le collège de département pourra élire un Député de plus hors de la liste; si la liste est réduite au-dessous du quart, le collège de département pourra élire hors de la liste la totalité des Députés du département.
Article 15 : Les préfets, les sous-préfets, et les officiers-généraux commandant les divisions militaires et les départements, ne pourront être élus dans les départements où ils exercent leurs fonctions.
Article 16 : La liste des électeurs sera arrêtée par le préfet en conseil de préfecture; elle sera affichée cinq jours avant la réunion des collèges.
Article 17 : Les réclamations sur la faculté de voter, auxquelles il n'aura pas été fait droit par les préfets, seront jugées par la Chambre des Députés, en même temps qu'elle statuera sur la validité des opérations des collèges.
Article 18 : Dans les collèges électoraux de département, les deux électeurs les plus âgés et les deux électeurs les plus imposés rempliront les fonctions de scrutateurs.
La même disposition sera observée dans les sections de collège d'arrondissement, composées de plus de cinquante électeurs.
Dans les autres sections de collège, les fonctions de scrutateurs seront remplies par le plus âgé et par le plus imposé des électeurs.
Le secrétaire sera nommé, dans le collège des sections de collège, par le président et les scrutateurs.
Article 19 : Nul ne sera admis dans le collège ou section de collège s'il n'est inscrit sur la liste des électeurs qui en doivent faire partie.Cette liste sera remise au président, et sera affichée dans le lieu des séances du collège pendant la durée de ses opérations.
Article 20 : Toute discussion et toute délibération quelconque seront interdites dans le sein des collèges électoraux.
Article 21 : La police du collège appartient au président. Aucune force armée ne pourra, sans sa demande, être placée auprès du lieu des séances. Les commandants militaires seront tenus d'obtempérer à ses réquisitions.
Article 22 : Les nominations seront faites dans les collèges et sections de collège, à la majorité absolue des votes exprimés.
Néanmoins, si les nominations ne sont pas terminées après deux tours de scrutin, le bureau arrêtera la liste des personnes qui auront obtenu le plus de suffrages au deuxième tour. Elle contiendra un nombre de noms double de celui des nominations qui resteront à faire. Au troisième tour, les suffrages ne pourront être donnés qu'aux personnes inscrites sur cette liste, et la nomination sera faite à la majorité relative.
Article 23 : Les électeurs voteront par bulletins de liste. Chaque bulletin contiendra autant de noms qu'il y aura de nominations à faire.
Article 24 : Les électeurs écriront leur vote sur le bureau, ou l'y feront écrire par l'un des scrutatateurs.
Article 25 : Le nom, la qualification, et le domicile de chaque électeur qui déposera son bulletin, seront inscrits par le secrétaire sur une liste destinée à constater le nombre des votants.
Article 26 : Chaque scrutin restera ouvert pendant six heures, et sera dépouillé séance tenante.
Article 27 : Il sera dressé un procès-verbal pour chaque séance. Ce procès-verbal sera signé par tous les membres du bureau.
Article 28 : Conformément à l'article 46 de la Charte constitutionnelle, aucun amendement ne pourra être fait à une loi, dans la Chambre, s'il n'a été proposé ou consenti par nous, et s'il n'a été renvoyé et discuté dans les bureaux.
Article 29 : Toutes dispositions contraires à la présente ordonnance resteront sans effet.
Article 30 : Nos ministres secrétaires d'état sont chargés de l'exécution de la présente ordonnance.
Donné en notre château de Saint-Cloud, le de l'an de grâce mil huit cent trente, et de notre règne le sixième.
CHARLES »
 
  • la quatrième convoque les collèges électoraux pour septembre ;
  • les cinquième et sixième procèdent à des nominations de conseillers d’État au profit d’ultras notoires, tels que le comte de Vaublanc par exemple.

Le terme « Ordonnances de Saint Cloud » est un raccourci journalistique. Elles ont été rédigées lors d'une réunion secrète au château de Millemont, propriété de Jules de Polignac, située dans la forêt de Rambouillet à l'écart de la capitale. Charles X les signa le lendemain, au château de Saint-Cloud.

Conséquences

« Ils ne sont pas polis du tout !!!  » s'écrie Charles X qui, portant ses « Ordonnances » comme les panneaux d'un homme-sandwich, est accueilli à coups de pierres.
Estampe satirique contre les ordonnances du roi, lithographie, 1830.

Ces ordonnances, s'appuyant sur la Charte de 1814 selon le roi, contraires à celle-ci selon ses opposants, provoquèrent la révolution à Paris (journées dites des Trois Glorieuses) qui, le , était aux mains des insurgés[4].

Louis-Philippe est appelé au pouvoir et promulgue une nouvelle charte, la Charte constitutionnelle du 14 août 1830, qui fonde la monarchie de Juillet.

Notes et références

  1. Jules Bonnet. Les Ordonnances de 1830, un abus de pouvoir au goût de révolution. Le Point, 15 aout 2013. Lire en ligne
  2. Gérard Conreur. Les "Trois Glorieuses" ou la République confisquée. France Culture, 26 juillet 2010. Lire en ligne
  3. Dissolution de la chambre des députés et ordonnance sur la liberté de la presse, (lire en ligne)
  4. Emmanuel de Waresquiel. Le voyage sans retour de Charles X. L'Histoire 1995, n° 184. Lire en ligne

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • 27-29 juillet 1830 Les ordonnances de Juillet et la révolution des « Trois Glorieuses » sur herodote.net
v · m
Événements de 1830
Date1829183025 et 27, 28 et 29 juillet9 août 183018301848

Événement

Conflit Polignac / Chambre

Ordonnances de Juillet

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