Anarchie criminelle

Robert Thompson et Benjamin Davis entourés de partisans
Robert Thompson et Benjamin Davis, entourés de partisans, quittant le tribunal fédéral de New York, où se tient leur procès pour violation du Smith Act.

L'anarchisme criminel ou anarchie criminelle (criminal anarchy) est, en droit criminel de plusieurs juridictions des États-Unis, la doctrine selon laquelle le gouvernement légal devrait être renversé par la violence ou tout autre acte criminel.

Description

L'anarchisme criminel décrit la doctrine selon laquelle le gouvernement organisé doit être renversé par la force, la violence, l'assassinat politique ou tout autre moyen illégal[1],[2],[Note 1],[Note 2].

Ce terme décrit aussi, par extension, l'apologie de cette doctrine, l'organisation d'une organisation prônant une telle doctrine ou la commission d'actes inspirés par l'anarchie criminelle.

Les peines pour la commission de cette infraction pouvaient inclure, en plus de l'emprisonnement ou du paiement d'une amende, la perte des droits politiques.

Histoire

Genèse

L'assassinat du président MacKinley
L'assassinat du président MacKinley.

Après l'assassinat du président MacKinley par l'anarchiste Leon Czolgosz en 1901, plusieurs juridictions américaines établirent des lois visant l'anarchisme et la propagande par le fait[3],[4],[5] ; un an après l'assassinat, l'État de New York, où le président fut tué, devint le premier État à promulguer une telle loi[1].

Développement

Jésus accusé d'anarchie criminelle
Caricature d'Art Young montrant Jésus accusé d'anarchie criminelle par les autorités constituées, publiée pour la première fois dans le journal The Masses en 1917.

Le mouvement afin de promulguer de telles lois s'accrut après l'entrée en guerre des États-Unis ainsi que la révolution d'Octobre, qui causèrent une Peur rouge et la répression du mouvement ouvrier.

En 1925, Benjamin Gitlow vit sa condamnation pour violation du Criminal Anarchy Law of 1902 conformée par la Cour suprême des États-Unis; membre fondateur du Parti communiste des États-Unis d'Amérique, il avait publié le Manifeste de l'aile gauche[Droit 2],[6],[7].

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, trente-cinq États avaient des lois contre l'anarchie criminelle ou le syndicalisme criminel[8],[Note 3].

En 1955, dans un contexte de maccarthysme et lors du cas Pennsylvania v. Nelson, l'avocat général des États-Unis témoigna que tous les 48 États fédérés d'alors, ainsi que les territoires de l'Alaska et d'Hawaï, avaient des lois punissant l'apologie de l'anarchisme criminel ainsi que la commission d'actes inspirés par cette doctrine, bien que ces lois diffèrent de par leur rédaction, qui fut décrite, pour certains, comme présentant de sérieuses lacunes au regard de la définition de l'offense[Droit 3].

Déclin et restriction

Cependant, l'évolution des mentalités ainsi que le changement de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis sur le Premier amendement firent disparaitre la plupart des lois portant sur la pénalisation de l'anarchie, ou du moins en restreignirent la portée aux cas de menaces réelles de violence: en 1957, dans le cas Yates v. United States, la Cour suprême décida qu'un discours ne pouvait être interdit que dans les cas de "danger clair et présent" ("clear and present danger")[Droit 4], jurisprudence renforcée en 1969 par le cas Brandenburg v. Ohio, qui introduisit la notion d'"action illégale imminente" ("imminent lawless action")[Droit 5].

Actualité récente

En 2004, dans l’État du Rhode Island, le gouverneur Donald Carcieri proposa une loi contre le terrorisme, inspirée du Patriot Act, réutilisant les articles du code pénal visant la "promotion de l'anarchie"; après une polémique, il retira sa proposition et proposa l'abrogation des articles contre l'anarchisme[9],[10].

Bien que ces lois soient maintenant rarement appliquées, en 2012, la Cour suprême du Nevada cassa une condamnation pour anarchie criminelle contre Garu Rosales, qui fit plusieurs menaces de mort par téléphone, graffitis et tracts, contre la police ainsi qu'un procureur, et tira des coups de feu dans les domiciles d'agents de police, l'intention de détruire le gouvernement légal n'ayant pas été prouvée par le parquet; cependant, le reste des inculpations fut maintenu[11],[12].

Cas célèbres ou notables

Benjamin Gitlow - portrait candidature Vice-Président 1928
Benjamin Gitlow fut condamné pour anarchie criminelle pour avoir publié le Manifeste de l'aile gauche.
  • Benjamin Gitlow (en) fut, en 1925, condamné pour anarchie criminelle[6],[7]
  • De 1949 à 1958, onze dirigeants du Parti communiste des États-Unis d'Amérique furent jugés pour violation du Smith Act ; dix furent condamnés à cinq ans de prison et 10 000 $ d'amende, et le onzième, Robert G. Thompson, un héros de la Seconde Guerre mondiale, fut à ce titre condamné à seulement trois ans; les condamnations furent confirmées par la Cour suprême fédérale en 1958[Droit 4]
  • En 1962, Dion Diamond, freedom rider, ancien étudiant à l'Université Howard et secrétaire du Student Nonviolent Coordinating Committee, alors qu'il tentait de rencontrer des étudiants bloquant le campus Sud de la Southern University, fut arrêté pour vagabondage, violation de propriété, troubles à l'ordre public et anarchie criminelle par la police de l'État de Louisiane avant que cette dernière accusation soit abandonnée ; Bob Zellner et Charles McDrew furent également arrêtés pour ces chefs d'accusations lorsqu'ils tentèrent d'aller voir Diamond dans la prison où il était détenu[13],[14],[15]

Actuellement[Quand ?]

Gouvernement fédéral

Le gouvernement fédéral, de par le Smith Act, punit l'apologie de la destruction du gouvernement des États-Unis ou de toute subdivision de l'Union[Droit 6].

En plus d’être incapable, pour une certaine durée de temps après condamnation, d'avoir un office politique ou dans la fonction publique fédérale, le condamné peut perdre la nationalité américaine ou être expulsé[Droit 7].

Il est demandé, à ceux voulant entrer sur le territoire américain, s'il soutiennent le renversement par la force du gouvernement[16].

États fédérés

En 2024, les États de l'Arkansas[Droit 8], du Colorado[Droit 9],[Droit 10], de Floride[Droit 11],[Droit 12],[Droit 13], de l'Illinois[Droit 14], de Louisiane[Droit 15], du Massachusetts[Droit 16], du Mississippi[Droit 17], de New York[Droit 18], du Nevada[Droit 1], du Texas[Droit 19], du Vermont[Droit 20], de la Virginie[Droit 21], de la Virginie-Occidentale[Droit 22],[Droit 23], de Washington[Droit 24] et du Wisconsin[Droit 25], pénalisent l'anarchie criminelle ou plus largement l'apologie du renversement violent du gouvernement légal.

De plus:

  • la Californie[Droit 26], le Kansas[Droit 27] et l'Ohio[Droit 28] interdisent aux partis prônant l'anarchie criminelle de se présenter aux élections;
  • le New Jersey refuse l'effacement des condamnations pour anarchie criminelle[Droit 29] ;
  • la Géorgie[Droit 30] interdit aux personnes coupables d'anarchie criminelle d'avoir un office public[Droit 31] et dissout toute organisation prônant cette doctrine[Droit 32].

Notes et références

Notes

  1. « L'anarchie criminelle est définie en ces termes : « Une doctrine incitant à renverser par la violence ou par la force le gouvernement établi[3]. » »

    — Congrès pénitentiaire international de Budapest, Actes du Congrès pénitentiaire international de Budapest, septembre 1903

  2. « Criminal anarchy is the doctrine that organized government should be overthrown by force or violence, or by assassination of the executive head or of any of the executive officials of government, or by any unlawful means[Droit 1]. »

    « L'anarchie criminelle est la doctrine selon laquelle le gouvernement organisé devrait être renversé par la force, la violence, l'assassinat du chef de l'exécutif ou de hauts fonctionnaires, ou par tout autre moyen illégal. »

    — NRS 203.115

  3. Le syndicalisme criminel (criminal syndicalism) est défini comme la doctrine faisant l'apologie de la commission d'actions illégales afin de parvenir à la réforme politique où sociale.

Droit

  1. a et b (en) États-Unis, Nevada. « Nevada Revised Statutes », art. 203.115. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  2. (en) Cour Suprême des États-Unis, Gitlow v. New York, (lire en ligne)
  3. (en) Cour Suprême des États-Unis, Pennsylvania v. Nelson, (lire en ligne)
  4. a et b (en) Cour Suprême des États-Unis, Yates v. United States, (lire en ligne)
  5. (en) Cour Suprême des États-Unis, Brandenburg v. Ohio, (lire en ligne)
  6. (en) États-Unis. « United States Code », art. 18 U.S. Code § 2385. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  7. (en) États-Unis. « United States Code », art. 8 U.S. Code § 1481(a)(7). (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  8. (en) États-Unis, Arkansas. « Arkansas Code », art. 5-51-202. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  9. (en) États-Unis, Colorado. « Colorado Revised Statutes », art. 18-11-201. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  10. (en) États-Unis, Colorado. « Colorado Revised Statutes », art. 18-11-203. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  11. (en) États-Unis, Floride. « Florida Statutes », art. 876.01. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  12. (en) États-Unis, Floride. « Florida Statutes », art. 876.02. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  13. (en) États-Unis, Floride. « Florida Statutes », art. 876.03. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  14. (en) États-Unis, Illinois. « Illinois Compiled Statutes », art. 720 ILCS 5/30-3. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  15. (en) États-Unis, Louisiane. « Revised Statutes », art. 14:115. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  16. (en) États-Unis, Massachusetts. « General Laws », art. 264.11. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  17. (en) États-Unis, Mississippi. « Mississippi Code », art. 97-7-67. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  18. (en) États-Unis, New York. « Penal Law of New York », art. 240.15. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  19. (en) États-Unis, Texas. « Texas Statutes », art. 557.001. (version en vigueur : 2013) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  20. (en) États-Unis, Vermont. « Vermont Statutes », art. 3405. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  21. (en) États-Unis, Virginie. « Code of Virginia », art. 18.2-484. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 11 septembre 2015)]
  22. (en) États-Unis, Virginie-Occidentale. « West Virginia Code », art. 61-1-5. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 11 septembre 2015)]
  23. (en) États-Unis, Virginie-Occidentale. « West Virginia Code », art. 61-1-7. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 11 septembre 2015)]
  24. (en) États-Unis, Washington. « Revised Code of Washington », art. 9.81.020. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  25. (en) États-Unis, Wisconsin. « Wisconsin Statutes & Annotations », art. 946.03. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 30 juillet 2015)]
  26. (en) États-Unis, Californie. « Elections Code », art. 5102. (version en vigueur : 2015) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]
  27. (en) États-Unis, Kansas. « Kansas Statutes », art. 25-116. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]
  28. (en) États-Unis, Ohio. « Ohio Revised Code », art. 3517.07. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]
  29. (en) États-Unis, New Jersey. « New Jersey Revised Statutes », art. 2C:52-2(b). (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]
  30. (en) États-Unis, Géorgie. « Georgia Code », art. 16-11-6. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]
  31. (en) États-Unis, Géorgie. « Georgia Code », art. 16-11-12. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]
  32. (en) États-Unis, Géorgie. « Georgia Code », art. 16-11-11. (version en vigueur : 2014) [lire en ligne (page consultée le 31 juillet 2015)]

Références

  1. a et b (en) Candace Falk, Barry Pateman et Jessica M. Moran (préf. Leon Litwack), Emma Goldman : Making speech free, 1902-1909, vol. 2, University of California Press, , 639 p. (ISBN 0-520-22569-4, présentation en ligne, lire en ligne), p. 16
  2. Marc Ancel (dir.), Louis B. Schwartz (dir.) et Herbert L. Packer, Le système pénal des États-Unis d’Amérique, Paris, Éditions de l'Épargne, coll. « Les grands systèmes de droit pénal contemporains » (no 3), , 273 p., chap. 5 (« Les infractions contre l'Etat »), p. 127-128
  3. a et b Gyula Rickl et Louis Guillaume, Actes du Congrès pénitentiaire international de Budapest, Bureau de la Commission pénitentiaire internationale, (présentation en ligne), p. 390
  4. (en) « MEASURES TO STAMP OUT ANARCHY.; Death Penalty Provided in Congressman Ray's Bill. », The New York Times,‎ (lire en ligne)
  5. (en) « Telegraphic briefs », Ottawa Citizen, no 213,‎ , p. 1 (lire en ligne)
  6. a et b Jean-Pierre Lassale (préf. Jacques Lambert), La Cour Suprême et le problème communiste aus États-Unis, Armand Colin, , 275 p. (lire en ligne), p. 47
  7. a et b (en-US) James Marlow, « A 1925 Supreme Court Decision Among Most Important Opinions », Gadsten Times,‎ , p. 4 (lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Michael Linfield, Freedom Under Fire : U.S. Civil Liberties in Times of War, South End Press, , 282 p. (ISBN 0-89608-374-8, présentation en ligne, lire en ligne), p. 107-108
  9. (en) American Civil Liberties Union of Rhode Island, « Governor’s Ill-Conceived Bill Prompts Legislation to Repeal Anti-Free Speech Statutes », sur The American Civil Liberties Union of Rhode Island, (consulté le )
  10. (en) « He didn't even read the whole thing?? », sur Blah3, (consulté le )
  11. (en) Eugene Volokh, « Nevada Supreme Court Reverses “Criminal Anarchy” Conviction », sur The Volokh Conspiracy, (consulté le )
  12. (en) « Criminal Anarchy Conviction Reversed By Nevada Surpeme Court », sur Tucson Criminal Law Blog, (consulté le )
  13. (en) « "Criminal Anarchy" in Louisiana (Feb) », sur Veterans of the Civil Rights Movements (consulté le )
  14. Randolph Hohle, Black Citizenship and Authenticity in the Civil Rights Movement, Routledge, , 178 p. (présentation en ligne, lire en ligne), p. 51
  15. « Crazy Dion Diamond: A 1960 Rights Warrior in the Suburbs », sur Washington Area Spark, (consulté le )
  16. « Do you intend to engage in the United States in ... any activity a purpose of which is opposition to, or the control or overthrow of, the government of the United States, by force, violence or other unlawful means? »

    « Avez-vous l'intention de vous engager, aux États-Unis, dans [...] toute activité dont le but est l'opposition à, le contrôle ou le renversement du gouvernement des États-Unis par la force, la violence ou autres moyens illégaux? »

    — USCIS Form I-698

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) Adam B. Wolf, « Anti-Anarchy and Anti-Syndicalism Statutes », sur Civil liberties (consulté le )
  • (en) « State Sedition Laws : Their Scope and Misapplication », Indiana Law Journal, vol. 31, no 2,‎ , p. 270-285, article no 6 (résumé, lire en ligne, consulté le )
v · m
Courants et tendances
Concepts et théorie
Histoire
Culture libertaire
Littérature
Organisations
Internationale
Voir aussi :
  • Palette Personnes liées au mouvement anarchiste
  • Palette Anarchisme par zone géographique
  • icône décorative Portail de l’anarchisme
  • icône décorative Portail de la criminologie
  • icône décorative Portail du droit
  • icône décorative Portail des États-Unis